A chaque crise, chaque bouleversement, émergent des questions profondément humaines qui nous traversent tous. Au fond, si nous sommes tellement malmenés par une crise, c’est qu’elle nous pose ce qu’on nomme des questions existentielles. Elles se regroupent sous cinq catégories et peuvent s’accompagner l’une l’autre au sein du même conflit.

La quête de sens

C’est une des premières questions existentielles auxquelles on pense lorsqu’on parle de crise. Qui ne s’est pas demandé un jour à quoi ressemble sa vie ? Quand cette question apparaît elle est cruelle parce qu’elle pourrait éveiller de nombreux sentiments très douloureux de honte, d’échec, d’inadéquation. Il importe de comprendre que le contexte culturel du XXIème siècle est le théâtre de profonds bouleversements qui ont commencé il y a très longtemps. Autrefois les religions, les institutions, les partis politiques donnaient un cadre qui, pour certains, tenaient lieu de sanctuaire du sens, de référent stable permettant qu’on s’y appuie. Ces instances ont été et sont encore profondément transformées. Aussi, le chemin de la quête de sens semble-t-il solitaire et parfois interminable. Cela étant, ce mouvement de destruction des sanctuaires est intéressant aussi car il contraint à trouver en soi le sens, et le sens en soi, en le rapprochant aussi du sens de l’autre. Quelles sont nos valeurs ? Qu’est-ce qui nous importe vraiment pour nous-mêmes, pour nos proches, pour le monde ? Comment les portons-nous ?

L’imperfection

C’est sûrement aussi très présente dans ces crises. En effet, quand elles surviennent c’est que quelque chose à dérapé, nous confrontant alors aux limites de notre savoir-être ou savoir-faire. Une vision plus ou moins idéalisée de ce que nous vivions est égratignée. Nous nous demanderons quelles sont les tendances comportementales qui accompagnent ce sens d’imperfection, ou besoin de perfection. Il est fréquent que là-aussi nous trouvions une division intérieure entre ce que nous sommes/avons et ce que nous voudrions être/avoir. Cela induit généralement un regard très jugeant sur soi-même ou bien, s’il n’est pas assumé, l’imputation de la responsabilité à un tiers. On observera aussi la difficulté à se mobiliser dans l’action, le refus de choisir, la passivité, la rêverie ou à l’inverse la fuite en avant dans l’angoisse de performance voire la prise de risques inconsidérés et la mégalomanie. Il y a un grand tri à opérer entre ce qui est possible et ce qui relève du fantasme, de l’idéal dont il importera de faire le deuil. On priorisera les besoins en travaillant sur ce qui semble le plus abordable pour aller vers ce qui est moins facile. Apprendre à relativiser, mettre l’accent sur les plus davantage que sur les moins, accepter ses limites et repérer le juge invisible auquel on se soumet pour vérifier si on est vraiment d’accord avec ses sentences.

La responsabilité

Dans le contexte de la Gestalt Thérapie, mais également d’autres approches thérapeutiques, c’est la clé de voute de la liberté, de l’autonomisation de l’individu et de sa prise de place signifiante dans le groupe, de sa subjectivisation (être sujet pensant/agissant et non objet pensé/agi). Assumer la responsabilité de son devenir c’est s’engager à choisir et créer sa vie, son destin, autant que faire se peut. Si l’enfance ou une situation que nous n’avons pas choisie a généré des souffrances qui ont fait de nous des victimes, grandir c’est aussi devenir son propre tuteur de croissance, trouver en soi les étayages qui permettront de sortir de la posture victimaire dans laquelle aucune action ne permet de se recréer positivement et détaché de son passé. Eviter de s’engager ou de prendre la responsabilité de ce que nous sommes ou faisons par tout un tas de stratégies est un processus qui conduit systématiquement à l’échec et qui répète une erreur déjà réitérée. Il convient donc d’identifier ce qui est dit au travers du refus de la responsabilité qui induit nécessairement un engagement, des privilèges et des frustrations. Par ailleurs, la responsabilité est souvent confondue avec la culpabilité surtout lorsqu’une situation de crise survient dans la sphère familiale, sociale ou professionnelle. S’il y a un sentiment de culpabilité, il importe d’en découvrir les raisons. De quelle dette doit-on s’acquitter, est-elle réelle ? Vis-à-vis de quelle loi ou règle plus ou moins tacite dans le couple, la famille ou le groupe social ou professionnel nous pensons-nous transgressifs ? Et si c’était le cas, que cela dirait-il de nous dans le groupe ? S’agit-il d’un engagement envers soi-même qu’on a le sentiment de ne pas avoir respecté ?

La solitude

Elle est inhérente aux crises parce que chaque crise nous place face à un choix que nous seul pouvons faire. Cependant comme chacun a pu l’expérimenter, il y a des solitudes, et non une solitude. Dans le contexte occidental, la solitude existentielle est incontournable parce qu’elle est inhérente à la pensée duelle, c’est-à-dire à l’idée que « je » et « le monde » sont deux ‘entités’ séparées. Sans explorer les visions plus holistiques du Bouddhisme ou du Taoïsme, il importe tout de même d’intégrer que la solitude existentielle est le produit d’une culture. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existe pas puisqu’elle est très réelle pour celui qui la ressent. Ce qui peut être exploré c’est notre croyance dans cette culture et la possibilité éventuelle de s’ouvrir à d’autres modes de pensée. Une autre solitude est celle dans laquelle nous nous sentons incompris, étranger au monde qui nous entoure, comme décalés voire parfois comme ‘d’une autre planète’. Le pendant de cette sensation est souvent un besoin de fusion ou d’intimité très forte qui n’est pas atteinte et pose d’autres questions notamment de comment l’autre pourrait ne pas être vu pour ce qu’il est mais pour ce qu’il apporte. Peut-on accepter la solitude ? Peut-elle être aussi un lieu de ressourcement ? Enfin, la solitude dans laquelle nous ne sommes plus distants des autres mais de nous-mêmes. Ici tout se passe comme si nous avions anesthésié certaines parties de nous. Le contact avec notre vraie nature est compliqué et surtout lorsqu’il implique un tiers, comme, par exemple pour recevoir un compliment ce qui est pour certaines personnes porteur de ‘questions sourdes’ du type : ‘Qu’est-ce qu’il veut dire ? Est-il sincère ? Qu’attend-il de moi ? Comment dois-je répondre ?’ Ces questionnements signent un malaise, une division interne qui ne permet pas qu’émerge spontanément la réponse, sans plus de doute. Il est très important alors de reprendre possession de ses zones sourdes, ces territoires intérieurs qui ont été désertés, sans doute par peur d’y retrouver un vieux démon mais qui désormais est tout ridé et inoffensif.

La finitude

C’est la question existentielle en filigrane derrière toutes les autres. Elle est toujours là lorsqu’un changement intervient dans la vie parce que celui-ci implique une séparation, un renoncement, la fin de quelque chose. Faire le deuil, on l’entend souvent, est le passage inévitable vers le nouveau, mais parfois il est très difficile à opérer. Quels attachements semblent indétachables ? Quels sont les enjeux ? Comment peut-on construire la sécurité de lâcher l’ancien et aller vers la nouveauté ? Face à la mort nous avons tous des stratégies différentes qui vont du défi au travers de situations dangereuses, de la croyance dans la réincarnation ou la vie après la mort, à la course à la postérité. Regarder la mort en face avant qu’elle ne nous cueille c’est finalement oser discuter d’un tabou, aller très loin dans son intimité avec soi-même pour dire l’indicible et partager avec d’autres êtres humains ce que nous avons tous en commun. Sans conjurer la mort, pouvoir en parler simplement, même en balbutiant nous rapproche, nous sort de l’isolement dans lequel nous plonge le tabou et le non-dit. Avons-nous déjà abordé ce sujet ? Quel a été l’accueil ? Comment nous sommes-nous sentis après l’échange ? Ce sujet nous parait-il trop lugubre ? La finitude est une donnée existentielle qui nous confronte au vide, mais étonnamment elle regorge de ressources et de richesses.
En lisant ces lignes il est possible que vous ayez repéré des sujets qui vous animent, des questions que vous vous posez. N’hésitez pas à interagir avec votre entourage sur ces sujets et si vous voulez aller plus loin, tenez-vous informés des conférences que je donne en visitant mon site ou les réseaux sociaux.