Violence est un mot que nous n’osons pas prononcer en dehors de circonstances où son usage est consensuel. Pourtant, seule la victime peut dire ce qui est violent pour elle, et quoi qu’elle exprime, elle mérite et a le droit d’être entendue.

Brève description de l’enfer du traumatisme

L’anesthésie, la vulgarisation font partie de la sinistre panoplie des perpétrateurs, prédateurs et autres bourreaux, bien souvent malgré eux. Il n’est guère besoin de fouiller dans des temps immémoriaux, des contrées lointaines et barbares, l’actualité s’illustre incessamment par de terrifiants constats nous montrant à quel point brutalité et violence sont devenues fréquentes, pis encore, banales.

Je m’adresse aux adultes que la vie n’a pas épargnés, que des expériences récentes ou anciennes ont égratignés, à ceux qui vivent l’enfer de la sensation d’être désorientés, diffamés, stigmatisés, ostracisés à ceux qui ne savent plus vers qui se tourner sans être discrédités, rejetés et abandonnés.

La réalité effroyable de la sidération que l’agression produit sur l’organisme humain ne sauraient suffisamment être rendue par aucun journal télévisé, annonce radio, discours de mise en garde. La nature de l’expérience de ces épreuves est hors de portée de ceux qui ne les ont pas vécues. C’est d’ailleurs une source de souffrance supplémentaire pour les victimes qui ne trouvent que rarement l’écoute adéquate, celle qui apporte le soulagement de ne pas se sentir devenir fou ou d’être en effet l’idiot ou l’incapable ainsi désigné par le bourreau ou bien par eux-mêmes par ignorance des mécanismes du traumatisme.

Aussi les praticiens de la relation d’aide formés à l’écoute spécifique que nécessitent ces épreuves, sont-ils plus sensibilisés à leur prise en charge. Les violences et brutalités sont avant tout un choc énorme auquel notre système n’est pas préparé. Que les épisodes soient très courts ou durables, les souffrances psychiques et parfois aussi corporelles qui en résultent sont au-delà du supportable. Elles font littéralement vivre à leur victime la terreur de la destruction imminente, celle de l’anéantissement instantané. Le sujet bien souvent erre dans un marasme psychologique alliant la rage à la tristesse, la douleur à l’incompréhension, la terreur à la honte, le dégoût à l’absurde.

Tout perd son sens, ou beaucoup de ce qui autrefois donnait à la vie sa teinte naturelle de joie. On eut tant aimé que ce ne fut pas. Comment survivre à l’insupportable ? Comment vivre à nouveau ?

Les cicatrices imprimées par un accident, une violence ou une agression physique, morale ou psychologique apparaissent aussitôt après l’événement traumatique et, alors qu’on les croit évanouies, émergent des semaines, des mois, voire des années plus tard. À travers la souffrance, c’est souvent le traumatisme qui tente de trouver une résolution apaisante, mais la personne qui souffre n’en a pas conscience. L’angoisse, dont l’aspect rationnel a depuis longtemps disparu, induit la persistance d’attitudes inadaptées qui posent des questions insolubles au traumatisé.

Une agression physique ou psychologique inflige le vide d’une incompréhension absolue. Les meurtrissures qu’elles laissent tourmentent encore des années plus tard par les mêmes maux.

La réalité de la menace vitale a engendré quotidiennement pour certains, la sensation que la tranquillité n’est assurée nulle part et dès qu’un signal fait rappel, les mêmes palpitations, les mêmes images reviennent, le même souffle court et c’est la panique qui reprend les commandes, inexorablement, dans une impuissance dévastatrice.

Et pourtant…
Ce portrait, vous le rencontrerez rarement car nombreuses parmi ces victimes, sont celles qui se sont sur-adaptées, qui, inconsciemment bien sûr, ont du développer des défenses, parfois aussi puissantes qu’une forteresse pour maintenir l’intégrité de leur centre, le noyau de leur personnalité, celui que rien ne peut atteindre sans faire descendre dans la folie. Par un géni inné, les victimes savent se fabriquer un bouclier pour se protéger. C’est une chance sans laquelle elles ne pourraient pas survivre…. mais elles sont dans la survie, consommant sans le réaliser une énergie colossale pour ne pas craquer. C’est ainsi que bien des années après la génèse du traumatisme, ce qui fut une protection devient aussi un fléau, isolant du véritable contact à soi-même, de la relation saine aux autres, et générant progressivement des maux, des douleurs qui deviennent parfois physique, comme si le vivant de l’âme tentait par tous moyens de dire sa vérité.

Aussi, bien souvent, c’est une drôle d’écologie qui se dissimule derrière un sourire, un masque de clown, de discrète, de bête de travail et bien d’autres déguisements, sans que le cœur qui palpite sous ces costumes soit pour le moins du monde conscient de la cage dans laquelle il s’est enfermé.

En sortir…

Trouver les palliatifs, transformer la sensation de menace en moteur ingénieux, se réinventer à partir des traumatismes, est une nécessité absolue et aussi la source d’une créativité extraordinaire qui revigore tous les domaines de la vie. Les anciennes victimes témoignent que la transformation des blessures en perles de joie est possible.

Mon expérience au centre israélien du syndrome de stress post traumatique m’a été précieuse dans l’accompagnement au seuil de leur libération des personnes tétanisées par la menace constante. C’est un appui inestimable et une expérience qui ne cesse de nourrir ma pratique, car les visages, les poings serrés, les corps abîmés que j’y ai vu renaître m’ont à tout jamais marquée de l’empreinte profonde qu’impriment les larmes de joie après tant de douleur.